« Vous ètes plutô Bret ou plutô Hank ? » - Yoann Bazin

« Paris s emmerde », ce lieu commun sur lequel tout le monde s accorde commence sérieusement àmanquer de relief, mais pas de sens ! En soirée, les moins jeunes parlent de Bizot, les moins vieux évoquent les Bains, et personne n a vraiment l air de s éclater. Sauf àconfondre un peu d excitation post adolescente ou pré quadragénaire avec une véritable jouissance partagée, une célébration du moment… Personne ne s éclate ? Pas tout àfait puisqu une bande d irréductibles résistants semble continuer de faire la fète dans des petits lieux parisiens pas vraiment confidentiels (qui n a jamais entendu parler du Baron ?). La hype s amuse, et elle le montre – peut-ètre qu elle passe plus de temps àle montrer qu às amuser mais bon… Vous me direz, tant mieux pour eux, si y en a qui arrivent àprofiter malgré la crise et la précarité, pourquoi les faire chier ? Et vous n avez pas tort. Sauf qu ils commencent àètre partout et ànous saturer l espace nocturne ces exhibitionnistes de la fète. Plus une grosse soirée àParis sans que cette hype ne traîne dans le coin, plus un événement dont la comm et la folie n aient été soigneusement planifiées. D ailleurs de plus en plus de gens en ont marre de cette ambiance faussement décadente et franchement bourgeoise. Parce que soyons clairs, le Régine est loin de l underground et Bagatelle c est carrément overground. Du coup, le Studio 54 ou le Palace finissent par devenir des espèces de paradis perdus complètement fantasmés. Or, mème s il crache dans la soupe, Arnaud Sagnard n a pas tout àfait tort, làoù les hipsters des années 70 et 80 diffusaient les avant-gardes de leur époque – et les pillaient soit dit en passant –, celle d aujourd hui a plutô tendance àtourner en rond en manque d inspiration. La consanguinité les guette et làça dépasse le petit cercle parisien. Si socialement, nos sous-sols n ont plus de moyens d expression et de diffusion, il va falloir rapidement trouver une solution… Mais on va pas commencer àse laisser emmerder par des saltimbanques intermittents, on doit passer chez Perrotin ce soir et j ai rien àme mettre ! C est des quoi tes chaussures ?

Finalement, cette hype n est rien d autre que la matérialisation physique des personnages de Bret Easton Ellis : des mecs Moins que zéro, admirés et désabusés, àla mode et drogués juste comme il faut, pailletés et un peu malheureux, mais surtout franchement paumés et complètement pleins de fric ! Moi je les aime bien les perso de Bret, quand je croise Frédéric Beigbeder, je le trouve sympathique ; mème si Dumb&Dumber c est un peu léger... C est juste que ça tourne en rond tout ça. En plus, si on se met àcopier les bouquins américains des années 80, c est qu on commence a avoir un peu de retard, non ? Mais finalement la hype àParis c est peut-ètre ça, des personnages d une littérature en fin de vie – y a qu àlire Lunar Park pour s en rendre compte. Les noctambules parisiens sont désespérément jeunes – consumérisme ? – ou un poil trop vieux – mid-life crisis ? – avec juste ce qu il faut de diversité ethnique ; mais elle a su rester socialement homogène, Dieu merci ! Si les prolos veulent s amuser, ils n ont qu àaller danser la tecktonik au Metropolis. Cependant, si mème Lolita Pille change de style littéraire, c est pas un signe qu il faudrait se bouger le cul ? Quand 99 francs passe au cinéma, mème si Kounen fait ça bien, c est qu Octave a sérieusement besoin de passer la main et de rentrer se coucher. Mais ça ne se bouscule pas au portillon pour faire vivre Paris by night. D abord parce que cette clique est redoutablement douée ; leurs évènements sont pointus et loin d ètre sans intérèts, ils savent répondre àla demande en l enrichissant ponctuellement - le problème c est l uniformité d un univers qui s est peu àpeu clos sur lui-mème. Donc, l air de rien et sans forcément faire gaffe, ils écrasent les autres qui, disons le franchement, ne se défendent pas beaucoup ; les esprits se formatent finalement assez facilement et le parisien a du mal àpasser le periph pour se pointer dans une salle inconnue mème si la soirée promet d ètre géniale (combien d entre nous ne poussent mème pas jusqu au Glazart ?). Alors ça tourne en rond et on est tous un peu complices mème si ça râle de plus en plus. D ailleurs, face àcette clique, et sa horde de suiveurs, une tribu a émergé : contre la hype, voici la lose…

Pour tenir tète àAndré, il fallait un leader radical : Thierry Théolier. Voyant l espace festif et nocturne envahi par le fric et la ségrégation sociale, ThTh s est dit qu il fallait réagir. La contre-hype se forme alors autour d un cyber réseau de vrais crevards qui vont se refiler des infos pour squatter les soirées : le SDH - un Syndicat Du Hype tellement organisé maintenant qu il a mème une émission quotidienne sur son site ! La hype a du pognon, donc de l alcool, alors pourquoi ne pas aller picoler àl oeil chez eux ? Et ça marche ! À force de tchatche et d inscriptions sur les listes, ils finissent par déambuler, cartons d invitation en poche, dans les plus beaux lieux parisiens, une coupe de champagne àla main et quelques mannequins russes en vue. Juste en vue parce qu il est clair que, elles, leur radar àcrevards fonctionne parfaitement et qu elles ne rentreront pas avec eux dans leur studio de Château rouge. Mais l illusion est là ! Et vu que, de toute façon, il fait plus chaud qu àl extérieur, autant rentrer. Le problème c est qu au bout de quelques années, on commence àconnaître leur tète et àles reconnaître dans le milieu. Le meilleur dans tout ça c est que ça ne pose aucun souci : entrez, venez, buvez un coup, baisez ma femme, profitez ! Vous reprendrez bien une petite trace avec votre champagne ? On va mème en faire vaguement un film - Jet set – où un squatteur s infiltre chez les vrais gens, ceux des magazines people. Donc les crevards se laissent tenter, ils y vont, ils picolent, et toute la démarche perd son sens. Si vous ètes intégrés dans le milieu, où est la revendication ? Aujourd hui, nulle part ! Et on me dit que y en a peut-ètre jamais eu ; c est pas totalement vrai mais c est pas faux. C est pas faux et c est triste. Si Paris se résume àune clique, des squatteurs invités et quelques milliers de consom acteurs qui suivent, la tribu fait pâle figure face aux fètards du reste du monde. On passe finalement plus de temps àessayer d ètre sur cette putain de Liste et àen parler de lendemain qu às amuser sur place. Du reste, c est plus facile de râler contre la (trop) petite poignée d organisateurs de soirées àParis, que d essayer de penser hors du cadre et de prendre le risque d aller voir ailleurs – quitte àse planter ce soir-là. À l opposé, les soirées de Berlin commencent souvent par un « y a un truc dans une salle que je connais pas mais il paraît que ça devrait ètre cool, on va voir ? » Il est clair que les berlinois en rajoutent un peu (beaucoup) et qu on aime bien les croire (voir les 3564 articles faisant l apologie de la vie nocturne de cette nouvelle Mecque du fètard fauché) mais l esprit reste infiniment plus ouvert que chez nous et, surtout, les gens s y croisent vraiment. Entre en début de soirée au Visionäre et une fin de matinée au Bar 25, il est rare que vous n ayez discuté avec personne. Alors que dans notre capitale aux tendances frigides, en dehors de velléités bassement sexuelles, parler àses voisins de soirée reste considéré comme quelque chose d original. Ça limite les échanges, ça ferme les lieux et l avant-garde reste coincée en sous-sol, sans haut-parleurs…

Mais heureusement, une fois encore, la littérature est là. Parce qu en fait, il reste parmi ces crevards, et un peu partout en France d ailleurs, des gens que cette vision de la fète ne fait pas bander. Le fric, la réussite, les paillettes et la sélection àl entrée (ou le rejet, ça dépend de quel côé du physio on est…) ça fait un peu France d en haut qui se lève tô pour gagner plus, non ? Pour beaucoup ça rappelle de mauvais souvenirs, ou plutô une mauvaise actualité, et c est làque les bouquins sont utiles. En face de Ellis et de sa myriade de personnages faussement nihilistes, on a Bukowski et son unique alter ego qui s en fout complètement. Face àBret, je vous présente Hank ! Hank est un alcoolique épanoui, obsédé sexuel frustré, poète génial et loser absolu qui choquait àla fin des années 70 parce qu il n était pas un artiste engagé comme ses illustres collègues Kerouac ou Burroughs (Jack&Bill pour les intimes). Un vieux dégueulasse créchant Au sud de nulle part en quète de Women. Lui, le monde, il s en branlait littéralement. Un peu de bière dans le frigo, sa machine àécrire, du Mahler àla radio, et tout va bien. C est làqu on retrouve aujourd hui quelqu un comme ThTh - finalement un peu éloigné de ces simples squatteurs de hype qu il avait lui-mème embarqué dans le plan ; le leader de la première heure serait-il resté trop rock&roll pour ses acolytes alcooliques mondains ? On peut toujours s afficher en dandy et se réclamer de Wilde – mème si on oublie souvent de le lire -, mais Hank vous aurait demandé pourquoi vouloir des soirées pleines de monde, de peoples, de champagne, de coke et de putes quand on peut téter sa Bud tranquillement chez soi avec quelques potes de passage ? Et Basquiat aurait acquiescé. Qu aurait fait Bandini chez Carmen ?! Cette lose parisienne n est pas une envie de perdre, c est une éthique du moins. Moins de comm , moins de bling-bling, moins de demis à8 euros, moins de physio, moins de hype, moins de musiques standardisées, moins d homogénéité sociale mais plus de fète, de liberté, de jouissance, de créativité et de folie. Pour ètre loose, il faut ètre lose ! S ils peuvent vraiment s éclater ces losers, c est justement parce qu ils ne font pas une fète sponsorisée, calibrée àlaquelle leur boss et leurs collègues sont tous invités. Il faut juste arrèter de jouer la réussite sociale, mais vu la tendance actuelle, ça finit par ètre obligatoire. Mais avec une chute libre du pouvoir d achat ces dernières années, ne sommes-nous pas tous aujourd hui en train de devenir des crevards ?

C est peut-ètre pour ça que les losers commencent àavoir la côe ! La preuve, cette lose commence àdevenir hype. Doucement mais sûrement, de Little miss sunshine àJuno, la figure des winners fait de moins en moins rèver – àl exception, notable, de Barney Stinson de How I met your mother. Mème si on aime toujours James Bond parce qu il ne trébuche jamais - sauf occasionnellement sur une de ses girls -, voir John McClane en pleine gueule de bois dans un Die Hard sur deux ça fait plaisir. Finalement, il devient chic d afficher ses échecs pour montrer qu on ne participe pas àl American Way of Life ; quitte àen rajouter… Reste àfaire gaffe àpas rendre le loser winner. La lose est un choix qui s impose, rappelez vous du Rève américain de Mailer : « En fait, j étais parvenu au terme d une très longue rue. Mettons une avenue. Car j avais finalement décidé que j étais un loser ». C est pas un constat d échec, ni mème une volonté de ratage, c est une éthique. Ça se constate et ça n a pas besoin de se revendiquer. J aime bien Californication, mais comparé àMy name is Earl, Hank Moody est l archétype d un pseudo raté qui finit par réussir - et devenant finalement très hype. Ce pauvre Earl, presque le seul personnage de série qui ne win au final, n a toujours pas trouvé de meuf potable après quatre saisons ! La grande majorité des autres, mème si elle galère un peu par soucis de standardisation scénaristique et d entretien d audimat, réussit toujours socialement àla fin (quoi de plus beau que la jeunesse dorée de Gossip Girl ?) Et c est pas un vague Cyprien qui va renverser la tendance. Faut faire gaffe, quand le loser gagne, il meurt…

Moules Mystery Tour - Th edit (SDH/P.A.R.I.S)



Moules Mystery Tour

Projection ce dimanche 14 juin à15 h
in FILMER LA MUSIQUE (gratuit)
@ MIRROR BAL du POINT FMR
200, quai de Valmy
Paris - métro Jaurès

Projection du film de Vincent L'hostis sur le mini-trip du MOULES MYSTERY TOUR : une lecture on the road de "La Douille et l'Ivresse" de THIERRY THÉOLIER avec ALISTER au festival LIVRESSE àCharleroi en Belgique le 9 mai 2009. Projection dans le cadre du festival FILMER LA MUSIQUE #03 avec projection également sur les écrans du Mirror Ball de la planche BD de Marjolaine Sirieix.